Fortinbras

FORTINBRAS (au public) — Je dois mener ces soldats et les presser comme un troupeau de moutons. Mais si l’attaque armée nous mène à la déroute mieux vaudrait n’avoir rien tenté. Ma main gauche doit porter secours à ma main droite. Si mon épée me fait défaut, je dois recourir au poi- gnard. Si je n’emporte pas la victoire par la force, je dois l’avoir par la ruse. Mon dessein doit avoir un suppléant qui me secoure si l’autre est un échec... Réfléchissons-y davantage... Quel moyen pour atteindre Claudius si le fracas des armes me mène à la déroute ? Si je veux casser cette bouteille, je peux la fracasser contre le sol, ou bien... Ou bien cette eau, qui a l’apparence du verre, peut se figer en glace et, de l’intérieur, faire exploser la paroi la plus dure. Un murmure, un bruit, une rumeur, une renommée scandaleuse. Flétrir jusqu’au pourrissement la réputation du roi Claudius. Voilà le gel. Engendrer des ennemis mor- tels, de l’intérieur, parmi ceux qui sont les plus proches de son trône. Son ministre, Polonius. Sa reine, Gertrude. La belle Ophélia, dont il voudrait m’offrir la main. Le fou- gueux Laërtes. Peut-être même son benêt de neveu, Hamlet. Doucement... J’y suis ! L’Ambassadrice n’a-t-

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elle pas parlé de l’amour d’Hamlet pour les vielles tragé- dies ? Une pièce, une fiction, un faux-semblant, un tour de passe-passe. Une pièce : n’est-ce pas la meilleure manière de faire courir le mensonge et l’infamie, la meilleure ma- nière d’engivrer et d’enténébrer l’esprit du prince, de geler et retourner son âme contre son oncle maudit... Et ainsi, comme le retour des saisons, le temps se prépare à faire une nouvelle boucle en se mordant la queue. Hamlet a tué Fortinbras. Claudius voulait tuer Hamlet. Mais Claudius est un faible. Alors Fortinbras a tué Hamlet contre une fausse promesse. Mais Hamlet tuera Claudius. Allez, c’est limpide, mon plan est fait... Capitaine ! Capitaine !

Il sort.